Alpinismes.free.fr - - - - - - Texte et illustrations Yves Saliba (tous droits réservés) . Dernière mise à jour le 08/08/2013 à 11:03

Le sens du piolet !



Terrains glissants : Le sens de préhension du piolet-canne

La tenue en "piolet-canne" est, de loin, la situation la plus courante d'utilisation du piolet en randonnée.
Dans cet usage, le piolet a pour rôle :
-de stabiliser et de soutenir le corps pour aider à la marche
-d'être disponible pour permettre à tout instant d'enrayer un chute (rattrapage) ou de passer en position d'arrêt pour contrôler et freiner un début de glissade.

Pour ce faire, il y a unanimité pour tenir le piolet-canne toujours dans la main amont ( même de face ou de dos, il y a une main potentiellement amont...)
Par contre  2 modes de préhensions opposées , et c'est symptomatique, innommés, sont pratiqués.
  Les alpinistes en sont réduits à user pour en parler de périphrases confuses comme "lame vers avant/vers l'arrière/vers la neige/vers la pente/vers le corps", "piolet-panne", de "manière classique", "à l'endroit/à l'envers", de "manière traditionnelle", "comme tout le monde"...ou innommables ! (voir annexe ci-après)



 Nommons l'innommé

Nommer étant le premier acte d'un discernement, nommons... (en distinguant les notions d'attitude, orientation, disposition, coté et préhension) :



Parmi ces notions, nous allons voir que toute l'attention doit être portée sur la préhension et le sens de préhension.
En effet, la préhension est ce que nous percevrons (consciemment ou de façon réflexe) de façon stable quel que soit notre situation. Que ce soit une situation ordinaire ou une situation extraordinaire(chute).
les autres critères sont secondaires :
-l'orientation, la disposition sont essentiellement induites par le sens de préhension
-le coté gauche ou droit est une notion qui est sans objet (seul compte le coté amont ou aval)
Dans les enseignements sur l'usage du piolet, les gens expliquent souvent comment selon eux tenir le piolet en terme de position ("vers l'avant", "vers l'arrière"). Or, selon l'attitude(frontale, latérale, Dorsale), dire vers l'avant ou vers l'arrière a des significations très différentes. Ce n'est donc pas une manière claire de s'exprimer. Cela induit même des erreurs de préhension car, le point clé n'est pas la position mais la préhension.


L'attitude du corps par rapport au terrain :
Frontale : =regard vers le haut=face tournée vers l'amont, dos tourné vers l'aval=face au sol, dos au vide. L'expression "face à la pente" que l'on emploie souvent est ambigüe, prête à malentendus.
Dorsale : =regard vers le bas=dos tourné vers l'amont+ face tournée vers l'aval=face au vide.
Latérale=en traversée: un coté du corps (notamment pied ou main) du coté du haut de la montagne est nommé coté amont , l'autre, plus près du bas de la la vallée est nommé coté aval.
(Les attitudes frontale ou dorsale étant rarement exactes, on peut toujours considérer qu'on a un coté amont et un coté aval...)

L'orientation du piolet par rapport au terrain :
-Lame-aval : =lame dirigée vers l'aval, ="vers le vide"
-Lame-amont : =lame dirigée vers l'amont, =vers le sol, =vers la neige

La disposition par rapport au corps.
Elle est une conséquence directe de la préhension du piolet, sauf dans un cas, la disposition divergente, lame vers l'avant que l'on peut réaliser des 2 manières (lame-interne ou lame externe).
(le terme "disposition" n'est pas très précis, mais à défaut de mieux...).
Nous distinguerons :
    -disposition Convergente : Lame vers le corps, lame centripète
    -disposition Divergente : Lame à l'opposé du corps, lame centrifuge

Le coté du corps (gauche ou droite)=latéralité
La latéralité
est la plus grande facilité (innée ou acquise) à maitriser les mouvements d'une main que de l'autre (sauf quelque rares cas de personnes ambidextres).
Les "droitiers" sont majoritaires par rapport aux "gauchers". La latéralité existe aussi pour d'autres parties du corps ("pied d'appel") mais c'est moins sensible. En alpinisme, plus de problème car si, pour écrire ou jouer de la guitare, le choix entre la main droite ou gauche peut être dicté par la latéralité c'est une question qui n'a pas lieu d'être pour tenir un piolet. On ne parle pas de coté gauche ou coté droit.
Un alpiniste doit savoir utiliser son piolet indifféremment d'une main ou de l'autre, n'avoir aucune réticence à changer de main chaque fois que nécessaire pour s'adapter à la situation, autrement dit il doit être "ambidextre".
Le seul choix qui est à faire c'est entre la main aval et la main amont.
Finalement, quand on parle de coté en alpinisme c'est "coté aval" ou "coté amont".
(Dans les dessins, le piolet est souvent représenté tenu dans la main droite...ce n'est que part une habitude du dessinateur qui est droitier. Mais on aurait pu aussi bien représenter le piolet tenu dans la main gauche, que ce soit pour les gaucher ou les droitiers)


 La préhension
La préhension se pratique selon 2 modes
-la préhension lame-interne (ou "lame-épée", "lame-pouce", lame sortant entre le pouce et l'index) (le terme "piolet-panne" est utilisé quelquefois pour cela, mais aussi pour tout autre chose alors oublions le)
Il y a 2 variantes : lame-interne transverse (qui n'a pas d'intérêt, mais que l'on a tendance à faire car correspond à une position de repos de la main) et lame-interne sagittale (lame dans le prolongement de l'avant bras et de la main, panne sous la paume : le terme lame-épée en est une bonne image). La préhension lame-interne est donc en principe la préhension lame-interne sagittale mais en pratique, par négligence ou erreur, elle se transforme souvent en préhension lame-interne transverse. Ces 2 variantes sont donc à considérer.

-la préhension lame-externe (ou "lame-poignard", "lame-auriculaire",lame sortant du coté de l'auriculaire, pouce sous le col de la panne). Existe en 2 variantes dont une seule sera retenue.
°lame-externe sagittale qui est inconfortable, dangereuse, inefficace, et ne peut être pratiqué que "exprès". Il arrive que des personnes novices mal formées la pratiquent mais elle ne devrait jamais être pratiquée. Nous n'en parlerons plus.
°lame-externe transverse :la seule que nous considèrerons et que nous nommerons en raccourci "lame-externe".

(J'ai choisi ces termes pour désigner les modes de préhension en référence aux dénominations anatomiques médicales, sachant qu'il n'existait pas jusque là dans le langage de l'alpinisme de dénomination claire équivalente. Cette lacune est symptômatique et sera examinée dans le volet anthropologique.)
Les termes "Epée" et "poignard" seraient peut-être plus faciles à mémoriser mais sont moins précis et portent le fardeau de leur sens guerrier.

Je propose l'idée que la préhension lame-externe est meilleure que l'autre et cette question revêt une importance primordiale , nous allons voir pourquoi :

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Pourquoi la préhension lame-externe doit être privilégiée

Les principales situations

Exposition
Le piolet est utilisé en canne
-dans des situations où il existe un risque de glissades dangereuses et on pourrait avoir à s'en servir pour s'arrêter
-mais aussi dans des cas où le piolet se sert qu'à s'appuyer comme sur un bâton (dans ce cas, il est possible de protéger la lame avec un embout)

Orientation

On distingue : les traversées (montantes, descendantes ou horizontales), les montées frontales, les descentes dorsales.
La montée frontale est fatigante pour les mollets
La descente dorsale expose à une chute sur les fesses qui est plus difficile à enrayer qu'une chute en traversée.
On aura la plupart du temps intérêt à se ramener à une traversée.
 

Les critères du choix

L'efficacité
La tenue du piolet en canne se pratique souvent dans des circonstances où on risque de chuter et glisser et où il faudra donc être capable très vite et avec certitude :
-soit d'enrayer la chute avant qu'elle ne s'accomplisse (rattrapage)
-soit de se jeter en "position d'arrêt"
La préhension lame-externe le permet directement et très vite (la gravité de la chute augmente avec le carré du temps écoulé).
Par contre, la préhension lame-interne impose des opérations de lâcher-retourner-reprendre le piolet qui, conduisent
-soit à une perte définitive du piolet et de tout espoir
-soit à une perte de temps rédhibitoire (augmentation de la vitesse et de la gravité de la chute)
-soit à l'adoption d'une fausse position d'arrêt qui ne marche qu'en "école", pas dans la cruelle réalité.

--Rattrapage :
La très large majorité des incidents de glissades involontaires est enrayée à son tout début par une manoeuvre de "rattrapage". Le rattrapage est tellement immédiat qu'il semble être instinctif, pourtant l'efficacité du rattrapage est fortement conditionnée par :
-l'entrainement (et la maitrise de la position d'arrêt)
-la manière dont est tenu le piolet avant l'incident.
Tenir le piolet lame orientée vers la neige (vers l'amont) est évidement favorable.
Si, dans le cas particulier d'une montée frontale, la préhension lame-interne sagitale permet un passage immédiat en appui frontal et un rattrapage dans des cas bénins, il est clair que si on se donne comme objectif d'éviter l'accident le piolet devrait être tenu dans tous les cas en lame-externe car la position naturelle de la main oriente la lame vers le sol amont. Une petite bascule du piolet suffira à ancrer la lame et souvent à enrayer la chute. En montée frontale et préhension lame-externe, le rattrapage reste immédiat par un pivot de la main qui tient le piolet.


Conséquences de la préhension lame-interne en traversée :
Hormis les cas bénins où l'alpiniste arrive à se rattraper en passant laborieusement en appui frontal, les issues possibles sont :
-l'alpiniste passe en appui frontal, mais comme ses pieds glissent, se retrouve suspendu paume sur la panne du piolet : faible force, aucun contrôle latéral, prise précaire : rapidement la main glisse ou le piolet se couche et....
-l'alpiniste tente de passer en position d'arrêt, pour cela il lâche la tête du piolet et ...n'arrive pas à la reprendre...... (voir Croquis "Efficacité")






--Passage en position d'arrêt
Le croquis ci-dessous montre combien il sera plus rapide et plus sûr de passer en position d'arrêt si on tient le piolet en lame-externe plutôt qu'en lame-interne.
En pratique, la différence d'efficacité est encore pire que ce que montre ce dessin. En effet, dans beaucoup de cas, en cas de début de glissade, on tentera -instinctivement- un rattrapage.
-Le rattrapage en lame-externe est évident et dans le cas où il ne suffit pas, il prépare et accélère le passage en position d'arrêt. Le réflexe de rattrapage  en lame-externe est donc toujours utile.
-Par contre le rattrapage en lame-interne est difficile et sa tentative est souvent nuisible.
Il sera en général tenté sans changer la préhension donc sous forme d'un appui lame-interne sagittale (paume sur la panne, lame dans le prolongement du bras). La réussite est peu probable, la chute se poursuit, et on en vient à tenter une "fausse position d'arrêt" : on se retrouve suspendu paume sur la panne sans guère de force ni ne contrôle latéral du piolet, l'issue probable est bien triste.
Lorsqu'en lame-interne le rattrapage n'est pas tenté, on a une meilleure chance de réussir l'arrêt, mais encore faut-il réussir le changement de préhension comme montré sur le croquis ce qui reste plein d'incertitudes.







La moindre dangerosité

Si le piolet est un excellent outils de progression et de sécurité, il faut garder à l'esprit qu'il peut par lui même être cause de blessure s'il est mal utilisé.
La tenu du piolet en canne est de loin la situation la plus fréquente.

En adoptant la préhension lame-externe, on éloigne au maximum la lame du corps, ce qui réduit fortement les risque de se blesser avec le piolet, la panne étant bien moins contondante.

Par contre,la préhension lame-interne a, en plus de son inefficacité, l'inconvénient de diriger la lame vers le corps et de créer maintes occasions de s'embrocher (le ventre, la cuisse...). Un bête trébuchage pourrait déboucher sur un "hara-kiri" ("sepuku") sanglant ou mortel.
Remarque : la préhension lame-interne présente 2 variantes:
-lame-interne perpendiculaire au bras : bien qu'elle soit néfaste, c'est en pratique cette variante à laquelle conduit souvent la préhension lame-interne parce qu'elle correspond à la position naturelle de la main. C'est la cause de la dangerosité de cette préhension.
-lame-interne dans le prolongement du bras. C'est elle qui est utilisée lors d'un piolet-appui frontal. Elle donne une fausse impression de sûreté car elle conduit inéluctablement à la position précédente (à cause de la disposition naturelle de la main).







Conclusion

En raison de ces observations d'efficacité et de moindre dangerosité, je conseille de tenir le piolet-canne en lame-externe.


Les exceptions :
-Dans le cas particulier d'un progression frontale sur pente raide non dangereuse tenir le piolet en lame-interne peut être confortable et permettre une progression en appui frontal. Il ne s'agit là que d'une facilité. S'il y a danger la lame-externe reste le plus sûr.
-Lorsqu'on n'a pas besoin du piolet pour la sécurité et que la lame est munie d'un embout, on peut bien sûr tenir le piolet canne en lame-interne si on apprécie de poser la paume sur la panne (mais, le plus sûr et le plus confortable est alors plutôt de ranger le piolet sur le sac).
Ce sont là des exceptions qui confirment la règle.


Responsabilités

Le piolet est outil individuel ce qui peut laisser croire que les choix faits par chacun ne regarde que lui-même. En fait c'est rarement le cas.
Le cas général est que la mauvaise maitrise d'une chute avec un piolet, non seulement peut blesser ou tuer la personne mais entrainer aussi d'autres dans le malheur et la mort. C'est un accident classique que l'on retrouve chaque année dans la presse : "un alpiniste glisse et en passant fauche ses camarades..." ou bien "sans que l'on comprenne pourquoi....on a retrouvé la cordée entière 3( ou 5) personnes.. pourtant "expérimentées" et bien équipées qui ont dévissé jusqu'au bas de la pente (mortes : pas de témoin)..."
Dans ce domaine le savoir est beaucoup transmis par imitation et on est responsable de son influence sur les autres....

Enfin, certaines personnes (dont je suis) se proposent d'enseigner ces techniques. Les accidents étant en fait assez rares, le défaut éventuel de la technique n'aura de conséquence que des années plus tard. Et il sera quasi impossible à la justice d'établir un lien de cause à effet.
C'est donc essentiellement le sens des responsabilités (éthique) de l'enseignant qui devra linciter à la rigueur et au sérieux. (Si un enseignant ou un encadrant se prétend "responsable de rien", courage, fuyez !)
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Mise en garde

Vous constaterez que
-la première fois qu'une personne sans aucune formation prend un piolet à la main elle le prend spontannément en lame interne (ou en piolet-traction)
-la majorité des alpinistes pratiquent la préhension lame-interne et une majorité de formateurs l'enseignent, mais sont incapables de le justifier techniquement et en sont réduit à se défendre maladroitement comme le montre l'annexe ci-après.
Tout se passe comme si le choix de la préhension lame-interne précédait et occultait toute réflexion rationnelle et cela malgré les conséquences effroyables en termes d'accidents et de morts.
Je vous renvoie au volet Anthropologie pour trouver quelques éclaircissements sur ce paradoxe et sur ce qu'il nous enseigne de la nature humaine.
Pour l'heure, j'espère que les explications techniques que vous avez pu lire ci-dessus vous aiderons à faire un choix judicieux, pour votre sécurité et celle de vos compagnons ou disciples.


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Annexe : Débat sur le "bon sens" ou polémiques insensées ?



Préambule
Au vu des explications qui précèdent, le choix du sens de préhension du piolet devrait être une question traitée avec sérieux et réglée assez facilement.
Force est de constater qu'au contraire elle est :
-embrouillée par l'usage d'expressions des plus ambigües (on ne sait pas de quoi on parle...et on semble s'en satisfaire)
-rejetée, esquivée ou fort mal traitée.

5 attitudes se manifestent:
-les tenants de la préhension lame-externe : peu nombreux, discrets si ce n'est timides justifient leur préférence sur la base d'arguments rationnels (efficacité, moindre dangerosité)
-les tenants de la préhension lame-interne : nombreux et péremptoires. Leur argumentation première est toujours le conformisme (la force du nombre). Lorsqu'ils s'essayent à une argumentation technique elle est fort embrouillée (à commencer par le vocabulaire)
-les non compétents : ils se reconnaissent comme tels parce que débutants ou peu intéressés par la technique. Sans formation, ni réflexion, ils ont adopté la préhension lame-interne...et en sont restés là. On comprend mieux, dès lors, d'où viennent les convictions des tenants de la lame-interne.
-les inconsistants : ils se revendiquent compétents et ils prétendent à une sage neutralité en expliquant que le sens de préhension n'a pas d'importance, que chacun fait comme il veut, etc... ils ne savent en général pas décrire ce qu'ils font réellement et, quand on les observe, on constate qu'ils pratiquent ... la préhension lame-interne ! Ils font un choix qu'il ne savent justifier rationnellement et qu'ils n'assument pas. Ils représentent assurément les cas les plus difficiles et les plus dangereux.
-les auto-contradictoires : les cas sont nombreux et variés. Les ingrédients sont par exemple
  °l'alternance entre 2 techniques opposées selon des critères fantaisistes
  °l'application d'une technique en situation d'exercice et de la technique inverse en situation réelle

But
Les déclarations et anecdotes citées ici, les critiques que j'en propose ne sont pas là pour fustiger leurs auteurs (qui sont eux même victimes de l'enseignement erroné qu'ils ont reçu). Mon objectif est d'éclairer les personnes qui apprennent l'alpinisme afin qu'elles puissent faire leur choix en meilleur connaissance de cause : enseigner le vrai ne suffit pas, il faut aussi enseigner comment reconnaitre l'erreur.
Le nombre d'erreurs et d'âneries possible est infini. Je ne cite ici que celles qui sont enseignées.

L'auteur
S'agissant de débat et de polémique il est impossible à l'auteur d'être objectif. Tout au plus peut-il s'efforcer d'être clair et exhaustif afin que le lecteur puisse se forger son opinion librement.
Le facteur le plus déterminant dans une opinion est certainement la difficulté que l'on peut avoir à en changer (en terme d'énergie et d'amour-propre).
Concernant l'usage du piolet, j'ai commencé comme la majorité des alpinistes par recevoir un enseignement dogmatique qui m'avait convaincu parce que j'étais en admiration devant mes "maitres" en la matière. C'est ainsi que j'ai commencé de pratiquer LA technique présentée comme la seule possible et donc innomée (c'était en fait la "préhension lame-interne"). Je l'ai donc pratiquée longtemps mais comme je ne n'avais pas été confronté à une chute sérieuse, je n'avais pu me rendre compte de son inneficacité.

Dix ans plus tard, j'ai eu à enseigner ces techniques à une cinquantaine de personnes. Confronté à cette lourde responsabilité et me faisant un devoir de transmettre non un dogme mais une compréhension des choses, j'ai alors pris conscience des autocontradictions de ce en quoi je croyais et qui était en fait un véritable poison.
Je me suis alors attaché à reconstruire une technique cohérente et une pédagogie adaptée. Cela a été une grande joie de voir des personnes acquérir en 1 journée ce que j'avais mis des années à apprendre (parce que parti de bases erronées).

Oui, cela fait mal de se remettre en question mais c'est bien peu de chose devant l'horreur de la mort, la sienne bien sûr, mais bien pire encore, celle des personnes qui vous ont fait confiance.
L'erreur est humaine; enseigner l'erreur (par conformisme,  orgueil ou négligence) est diabolique.
Alors, si vous avez des convictions en ce domaine, restez humain : remettez les en question, pour l'amour de ceux qui vous font confiance.


Assertions ou arguments de tenants de la préhension lame-interne avec critique afférente

Conventions
-Les citations entre guillemets résument, en substance ou mot pour mot, les arguments en faveur de la préhension lame-interne présentés par des personnes qui se positionnent comme compétentes (encadrants ou "responsables" associatifs, instructeurs fédéraux, fabricants de piolets ou même professionnels de l'alpinisme) et que j'ai entendus ou lus entre 1980 et 2010.
-"mon avis" ... n'est que mon avis; faites vous le vôtre en connaissance de cause.

Rumeur, conformisme et fausse statistitique :

-"ON m'a appris comme ça" Mon avis : Il est en effet pénible de devoir reconsidérer ce que l'on a pris soin d'apprendre en croyant que c'était vrai...

-"c'est comme ça qu'ON/que tout le monde fait; c'est comme ça sur les photos; c'est comme ça qu'ON enseigne, c'est la manière traditionnelle" (Ces expressions vont plus loin. Elles affirment qu'il y a unanimité et que cette unanimité suffit pour valider la méthode.) Mon avis : 
1)Il n'y a en fait pas du tout unanimité mais une majorité "écrasante"; la minorité en est réduite à se cacher...
2)Nous ne traitons pas ici de question de "goût ou de couleur"; le fait de savoir s'il faut tenir son piolet dans un sens ou dans l'autre n'est pas affaire de démocratie (ou d'autorité ! ), mais de science.
3)D'une façon plus large, se référer à une majorité pour connaitre les lois du monde est une mauvaise piste, en effet, par exemple pour "tout le monde", la terre est plate, fixe et les astres se promènent en son ciel.

-"des fabricants réputés de piolets montrent dans leurs démonstrations, video, et schémas leurs piolets systématiquement tenus lame-interne. Ils insistent sur le confort de la panne pour la paume de la main etc..alors si des fabricants le disent !..." : Mon avis : Je suis bien d'accord qu'on devrait pouvoir faire entièrement confiance aux fabricants. Mais, en ce domaine comme en d'autres le problème d'un fabricant est de vendre et donc de rester dans "l'air du temps", et de ne contrarier personne.

-"J'ai toujours fait comme ça et il ne m'est jamais rien arrivé" Mon avis : Justement, "il n'est jamais rien arrivé". Ce qui est affirmé ici comme une expérience probante est en fait une non-expérience. 
En outre, là où une personne très entrainée aura une chance de compenser sa technique erronée par un "exploit physique", une personne débutante ou moins "sportive" n'aura elle, aucune chance. Pourquoi ne pas choisir ce qui nous donne à tous les meilleures chances de survie?


arguments techniques offensifs :

-"la panne est confortable donc elle est faite pour y poser la main" . Mon avis : Il est exact que souvent la panne se prête bien à y poser la paume de la main, mais ce n'est PAS sa fonction. Sa fonction est de tailler des marches (et de caler la main dans la préhension Ancre). D'ailleurs poser la main sur la lame d'un bon piolet est tout aussi confortable. (Certains fabricants vantent le confort de la panne de leur piolet : cela vaut ce que vaut la publicité).

-"La préhension lame-externe c'est dangereux car en tenant la lame ainsi en arrière et sous le bras, je me la suis plantée dans le bras". Mon avis : Faire ainsi suppose une contorsion, autrement dit il faut le faire exprès ! Il s'agit d'une ERREUR due à la croyance que ça serait ainsi qu'il faudrait s'y prendre. La préhension lame-externe suppose au contraire que la lame soit maintenue perpendiculaire au bras, ce qui supprime quasiment tout risque de blessure.
C'est l'occasion de préciser ici que la préhension lame-externe n'est pas bêtement l'inverse de la préhension lame-interne.

-"en lame-interne, c'est pratique pour passer immédiatement en appui-frontal" : Mon avis : l'appui-frontal correspond à des situations particulières auxquelles on a le temps de se préparer. On n'a pas souvent besoin de passer de latéral en frontal et, jamais de le faire dans l'urgence.

-"choisir l'une ou l'autre selon l'état de la neige: en neige molle, utiliser la panne pour labourer la neige, car elle est plus large, en neige dure utiliser la lame. " Mon avis : cette idée erronée est assez répandue, la société Petzl la préconise dans son mode d'emploi du piolet et, elle se diffuse comme une rumeur. Je ne suis pas d'accord avec ce précepte et, je regrette qu'une entreprise aussi sérieuse que Petzl (la seule qui fasse l'effort de livrer une notice avec ses piolets) le répande, pour 3 raisons :
1)le labourage avec la panne n'apporte rien. La panne est en général petite (exemple : panne 1250mm2 /  lame 1040mm) donc il n'y a guère de différence d'efficacité de freinage. De toute façon en cas de neige très molle c'est en inclinant le manche plus en travers de la neige que l'on augmente l'accroche pour maintenir l'assiette et le freinage se fait alors surtout avec les pieds.
2)Envisager de diriger la lame vers soi dans la position d'arrêt est effroyable. Essayez: vous préférez la planter dans votre cou ou dans votre épaule ?
3)hésiter tue. Je le répète, lorsqu'on a besoin d'exécuter la technique de la position d'arrêt, tout se joue en quelques fractions de seconde et dans un stress intense. Imaginer que l'on pourra alors se demander dans quel sens on va tenir le piolet est une illusion. La survie ici découle de la mise en oeuvre d'un réflexe conditionné par une conviction et un entrainement à une méthode unique.


arguments techniques défensifs :

-"Sur mon piolet le dessus de la lame est tranchant/hérissé de dents/le col de la panne est vrillé en telle manière qu'on ne peut le tenir que paume sur la panne et dans la main droite !" Mon avis : La commercialisation de ces piolets dangereux n'est malheureusement pas interdite parce que la norme les concernant ne porte que sur des critères de solidité, non d'ergonomie.
Mais vous n'êtes pas obligé de les acheter, ni de les garder. Il se vend aussi de bons piolets. Quand un outil est mauvais, changez d'outil.

-"Sur mon piolet la pique est réalisée par une taille du manche en biseau et ce biseau gène le piquage du piolet-canne si on le tient lame vers l'amont. Cela amène à le tenir panne vers l'amont donc lame-interne quand on est en traversée ou en descente" : Mon avis :Exact; d'ailleurs tous les piolets biseautés que j'ai pu voir sont fait ainsi. Mais pour quel motif ? J'ai questionné des fabricants qui ont été incapables de répondre  (réponse à coté de la question). En fait, la motivation semble être qu'avec un tel biseau, le manche parait plus confortable en piolet traction  (position archétypale) ensuite, l'immitation fait le reste. Je conclue qu'il s'agit d'une erreur reproduite par immitation entre frabicants (cas assez classique).
-"Pour s'arrêter, on peut quand même s'en sortir en tordant la main comme ceci et cela" (suit une longue explication ...tordue) : Mon avis : dans ce domaine l'imagination foisonne, j'en donnerais au chapitre "F.A.D.A." quelques exemples. Comme pour Ptolémée défendant un système du monde géocentrique : Que de talent gâché à sauver une idée erronée. Il arrive effectivement, dans des cas bénins, que l'on puisse se rattraper par une technique tordue, cela ne constitue pas une raison d'en faire un modèle à suivre.

autocontradictions :
les cas sont nombreux et variés. En voici 2 exemples:
  °L'alternance fantaisite : "Je suis logique [!] : en montée je met la lame vers l'avant, en descente je met la lame vers l'arrière" Mon avis :Ce qui est décrit ici comme "logique" est en fait une propension "esthétique". Le drame est que cette personne voudrait avoir une démarche rationnelle alors qu'elle raisonne sur des données partielles et pour commencer les notions de montée-descente qui sont trompeuses (en traversée ou en trace directe ce n'est pas du tout pareil) et les termes "avant/arrière" qui sont ambigüs. Au moins cette personne aura une chance de survivre si elle tombe pendant une descente !
  °La schizophrénie : lors d'exercices d'arrêt de glissade ils réalisent une position d'arrêt impeccable. Mais, pour marcher ils tiennent leur piolet-canne en lame interne. Quand on leur demande alors comment ils peuvent s'arrêter, c'est la "fausse position d'arrêt" (suspendu paume sur panne) qu'ils adoptent, c'est ce qu'il feront quand leur dernière heure sera venue.


arguments polémiques : dérobades (ou grossièretés):
-"L'un ou l'autre, c'est pareil, de toute façon quand tu tombes tu fais comme tu peux" Mon avis : Effectivement, quelle que soit la justesse de la technique adoptée, on fera comme on pourra (M. de la Palisse n'eut pas dit mieux), mais avec une technique juste on a de bien plus grandes chances de réussir. Ici, réussir c'est survivre plutôt que mourir !...

-"dans la vraie position canne, la lame est en avant [lame-interne]. Notre assistant directeur [?], [X], vous dirait qu'avec la lame en arrière[lame-externe] le terme est Merde". [en Français dans le texte publié sur le site internet d'une association d'alpinisme des USA]
Mon avis : A défaut d'avoir valeur d'argument, un dénigrement aussi bas laisse entrevoir d'obscures motivations surtout quand on découvre la suite du même auteur (réponse à une demande d'explication de ma part):

-"Oui, il est plus lent de s'arrêter avec la lame-avant [préhension lame-interne] mais en fait je n'utilise jamais la position d'arrêt pour m'arrêter [! ! ! ], mais je raccourci, tend la corde,  et positionne mon corps pour arrêter mes chutes et celles de mes partenaires" (traduit de l'américain par mes soins)
Mon avis : Pour justifier de préconiser une technique qu'il reconnait comme inefficace, X dit qu'en fait il ne se sert pas du piolet mais de la corde et de son corps (?). encore faut-il être encordé  ; et... qui donc retient la cordée; et à quoi sert le piolet ?

-"Peu importe le piolet car je fais aussi bien avec mes mains munies d'une paire de gants" [!!!]  Mon avis :Contrairement à l'adage, ici le ridicule pourrait bien tuer....

etc....


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Globalement ces arguments me paraissent vains et tout au moins légers au vu de l'enjeu : la vie ou la mort.

En attendant la présentation, qui tarde un peu (j'attends depuis 40 ans...), d'au moins 1 argument sérieux pour la préhension lame-interne,
je réitère donc mon conseil de tenir en règle générale le piolet-canne en lame-externe



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